Célia Boutilier
Née en 1994 à Belfort (FR), vit et travaille à Paris (FR).

Célia Boutilier développe une pratique singulière de la photographie et de l’écriture, conçue comme une exploration sensible des modes de visibilité. Nourrie par les sciences botaniques, son travail cherche à relier art et écologie pour faire émerger de nouveaux récits du vivant. À travers ce qu’elle nomme des assemblages photographiques, elle fabrique des paysages recomposés, à la croisée de la photographie topographique et d’une poétique surréaliste du fragment.

Ses images, souvent composites, jouent des échelles et des ruptures : vues d’ensemble et gros plans coexistent sans hiérarchie, abolissant l’horizon pour mieux déstabiliser nos repères. Points d’agrafes, entrelacs, cicatrices : les jonctions entre fragments photographiques deviennent autant de figures visuelles et symboliques des interactions qui façonnent les milieux vivants. Le minéral, le végétal, l’organique s’y rencontrent selon des logiques d’hybridation inspirées des récentes théories de l’holobionte.

Par ce langage photographique précis et polysémique, Célia Boutilier compose des écosystèmes imaginaires mais profondément ancrés dans une pensée écologique, où chaque image devient un lieu de dialogue entre formes, matières et temporalités. Ses travaux invitent à repenser notre propre rapport au monde, en tant qu’êtres eux-mêmes composés, fragmentaires et interdépendants.



ÉDUCATION

2021-25 Doctorat SACRe-PSL (Sciences, Arts, Création, Recherche), ENS, ENSBA & MNHN, France,

Sujet de thèse : « Assemblages photographiques : pour une esthétique symbiotique » ·

2017-19 Master 2, DNSAP, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Paris, France · avec l’historien de l’art Jean François Chevrier et le photographe Patrick Tosani ·

2017-18 M1, Philosophie des sciences et de la connaissance (LoPhiSc), Sorbonne Paris IV, Paris, France ·

2016-17 ERASMUS, École de Recherche Graphique, Bruxelles, Belgique (Fabrizio Terranova & Gilbert Fastenaekens) ·

Auditrice libre Université Libre de Bruxelles (ULB) et GECo – Groupe d’études constructivistes (Isabelle Stengers, Bruno Latour et Vinciane Despret ·

2013-16 Licence, DNAP mention richesse de l’expérimentation, École Nationale Supérieure d’Art de Dijon, France ·


PRIX

2021-2024 Bourse d’aide à la production SACRe-PSL, Paris ·

2023 Bourse du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris pour une mission photographique à la Réunion ·

2022 Bourse AAP du Laboratoire ENS SACRe-PSL, exposition à UCLA (+ hébergement), Los Angeles, USA ·

2020 Lauréate du prix GIDE Loyrette Nouel, Paris ·

2019 Bourse d’aide à la création, CROUS, Paris, France ·

2016 Lauréate de l’appel à œuvre de Soundinitiative pour le projet Nues ·


RÉSIDENCES | TERRAINS | MISSION DE RECHERCHE PAR LA CRÉATION

2021-25

  • Septembre à décembre, Collaboratrice de recherche | Musée National d'Histoire Naturelle de Paris · Indépendant, laboratoire ISYEB, équipe Interactions et Evolution Végétale et Fongique (INEVEF | CNRS), Paris ·

  • Du 27 février au 19 mars, La Forêt Tropicale Primaire de la Mare Longue : Mission scientifique « Epiphytism as a Fungal Ecosystem conquered by Vascular Plants » (EPIFUN), financé par l’ANR, Florent Martos et son équipe (INEVEF | CNRS Paris) · île de la Réunion, France DROM · Biome terrestre 01 : Forêts décidues humides tropicales et subtropicales ·

  • Analyse des processus d’imageries, Plateau Technique de Microscopie Électronique et de Microanalyses | MNHN | CNRS ·

2024

  • Du 16 au 27 juillet, Opphus, en bordure du Glåma, principal fleuve de Norvège, le plus long de toute la Scandinavie, Norvège · Biome terrestre 06 : Taïga ·

2023

  • Du 05 au 29 juillet, Le Fjord-du-Saguenay, Estuaire fluvial et maritime du fleuve Saint-Laurent, de Montréal à Tadoussac, jusqu’à Gaspé. Plus grand estuaire du monde et un des plus profonds, Canada · Biome terrestre 04 : forêts tempérées décidues et mixtes ·

  • Du 02 au 11 mai, La Réserve Naturelle Nationale de la Forêt de la Massane (UNESCO 2021), France · Biome terrestre 04 : forêts tempérées décidues et mixtes ·

2022

  • Du 17 au 25 Juin, « Pérégrination Géologique en zones arides », dans le cadre de l’école de printemps d’Histoire de l’Art «Making Green Worlds», (RIFHA), UCLA. Étude des Réserves Naturelles Désertiques de la Californie, de l’Arizona et de l’Utah, USA · Biome terrestre 13 : Déserts et terres arbustives xériques ·

2013-19


EXPOSITIONS PERSONNELLES

2025

  • Du 03 Avril au 31 Décembre, « Voir le Vivant Autrement », cocréation avec la Ville de Paris, ENS, Beaux-Arts, MNHN, Jardin des Serres d’Auteuil, France ·

2024

  • Du 07 au 08 décembre, « La forêt et l’humanité », journées Naturellement !, 3èmes rencontres du vivant et de la terre par la Fédération BioGée, Rouen, France ·

  • Septembre, Espace personnel de Mr Jean-Michel Wilmotte, Collection Privée, Combloux, France ·

2023

  • Octobre, « Esthétisme en entreprise », invitation de Nathalie Hoang, Espace Niemeyer, Paris, France ·

  • Octobre, « The Collective Laboratory », affichages d’une de mes photographies de « Horse Pill » dans les métros Parisiens, pour le Collectif Cremesoleil · MUDAM Luxembourg · Paris, France ·

  • 20 juillet, « Habiter une écorce (le lieu de l’intrication des liens) », lecture performance pour le Festival d’Avignon IN, Salle Atelier-Théâtre · Cloître Saint-Louis, Avignon, France. Café des idées, “Prendre soin des choses et des paysages. Préservation, exposition, performance” avec SACRe et ESAA ·

  • Du 30 juin au 4 juillet, « Habiter les lisières », atelier Devot, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, France ·

2022

  • Du 30 juin au 4 juillet, «Habiter les lisières», atelier Devot, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, France

  • Du 12 au 17 Juin, «Habiter les lisières», dans le cadre de l’école de printemps d’Histoire de l’Art «Making Green Worlds», (RIFHA), UCLA, Los Angeles, USA ·

2020

  • Septembre, Créations​ in situ “Abécédaire d’une forme” pour les bureaux de la direction Altarea, en collaboration avec Wilmotte & Associés, pour le Siège Social Altarea, Paris, France. Acquisition permanente ·

  • De Juin à septembre, projet vidéo “Rêverie Cosmique”, espace clientèle du cabinet GIDE, Gide Loyrette Nouel, 75008 Paris, France ·

2019


EXPOSITIONS COLLECTIVES

2024

  • Mars, Festiv’Art, Collection Privée, Paris, France ·

  • Du 16 janvier au 15 février, 19e Biennale d’art contemporain, Champigny-sur-Marne, Paris, France ·

2023

  • Novembre, exposition collection particulière “œuvres blanches” de l’architecte Jean-Michel Wilmotte, France ·

  • Du 16 au 19 novembre, 10ans de SACRe-PSL, commissariat Valentine Busquet, Gaîté Lyrique, Paris, France ·

  • Du 21 au 25 novembre, Colloque scientifique dédié aux 50ans de la Réserve Nationale de la Forêt de la Massane, Banyuls-sur-Mer, France·

2022

  • Du 03 au 19 novembre, « Poltergeists : esprits frappeurs, esprits frappés », en partenariat avec Photo SaintGermain Beaux-Arts de Paris, Labo Photo et couloir Chimay, Paris, France ·

2020

  • Du 15 juin au 15 Août, nouveaux locaux d’ALTAREA COGEDIM, Hall d’accueil, Paris, France ·

2019

  • Du 06 au 21 novembre, «Coup de Projecteur», commissariat Guitemi Maldonano, Laboratoire photographique des Beaux Arts de Paris dans le cadre de Photo Saint Germain, Paris, France ·

2018

2017

  • Soirée du 23 janvier, « Cinéma Électronique », commissariat Infuse, Espace des Arts sans Frontières, Paris. Présentation live du projet vidéo Nues, interprétation au violoncelle par Louise Levert ·

  • Du 9 au 15 janvier, « Points de vues », commissariat en binôme, Project(ion) Room, Bruxelles, Belgique · 2016

  • Du 15 au 22 octobre, « Art et science », commissariat Jean-Marc Chomaz, Salon des Réalités Nouvelles, Paris, France ·

  • Du 02 au 08 mai, « Topographie de l’ailleurs », commissariat Vanessa Desclaux et Germain Huby, Église Saint Philibert, Dijon, France ·

2015

  • Octobre, « Laboratoire », commissariat Jean-Marc Chomaz, Salon des Réalités Nouvelles, Paris, France ·

  • Du 01 au 23 avril, « De Différentes Natures », commissariat Philippe Mailhes et Pascale Séquer, Atheneum, Université de Bourgogne, Dijon, France ·


ENSEIGNEMENTS | COLLOQUES SCIENTIFIQUES | COMMUNICATIONS

2025

  • Du 30 Janvier au 21 mars, «Thérapeutique des images #1» · charge de cours de 24h, théorie et pratique · pour les Beaux-Arts, niveau Licence et Master, atelier et laboratoire photographique des Beaux-Arts de Paris ·

  • Du 29 Janvier au 06 mars, «Thérapeutique des images #1» · charge de cours de 24h, théorie et pratique · pour le Programme Gradué Art de l’ENS, niveau Master et PhD, atelier et laboratoire photographique des Beaux-Arts, Paris ·

  • 07 juillet, « Métamorphose et temps croisés », conférence d’ouverture «œil d’expert», siège social d’Altarea dans le cadre de la 3e édition du concourt photographique interne, membre du jury, Paris ·

2024

  • Co-Direction du projet international et transdisciplinaire FASTES, sur la portée cognitive de l'expérience sensible du terrain dans l’étude des Forêts Anciennes | ENS | CNRS | CERES | FRQSC · équipe de 6 spécialistes répartit sur 5 pays · (projet en recherche de nouveaux financements) ·

  • 03 juillet, « Future et Perspectives », conférence d’ouverture «œil d’expert», siège social d’Altarea dans le cadre de la 2e édition du concourt photographique interne, membre du jury, Paris ·

2023

  • Du 21-24 Novembre, « Habiter la frontière », 50 ans de la Réserve Naturelle Nationale de la Forêt de la Massane, Observatoire Océanologique, Banyuls-sur-Mer, France ·

  • 19 Novembre, Table ronde « Pratiques artistiques du vivant », conversation avec Anne Simon · Anna Ternon · Florent Carron Darras · Mélanie Pavy, 10ans SACRe-PSL, Gaité Lyrique, Paris ·

  • 20 juin, « L’art d’une belle photographie », conférence d’ouverture «œil d’expert», siège social d’Altarea dans le cadre de la semaine sensationnelle et du concourt photographique interne, membre du jury, Paris ·

  • 08 juin, « Habiter une écorce : L’exemple des orchidées épiphytes et des champignons mycorhiziens de la forêt de Mare Longue, Réunion » Célia Boutilier invite Florent Martos, Rencontres « Constellations de la recherche » par Clara Schulmann et Claire Garcia, ENSBA, Paris ·

  • 25-26 Mai, « Compte-rendu de recherches en milieux insulaires », Séminaire SACRe hors-les-murs, invité par l’association Rhizome, Ouroux en Morvan, France ·

  • 16-21 Mai, ISEA2023 Symbiosis, 28th International Symposium on Electronic Art, Paris, France ·

  • 14 Avril, Journée doctorale de l’École Doctorale 540, École Normale Supérieure, Paris, France ·

  • 27 Mars, Journée des doctorants de l’ISYEB (UMR 7205), Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris, France ·

2022

  • 15-21 Juillet, Colloques de Cerisy, Beauté.s Vitale.s, par la Chaire Beauté(s) PSL-L’Oréal, Cerisy-la-Salle, France ·

  • 12-17 Juin, École de printemps d’Histoire de l’Art « Making Green Worlds », (RIFHA), UCLA, Los Angeles, USA ·

  • 19-21 Mai, « Habiter les lisières », Séminaire SACRe hors-les-murs, invitation de Christian Pottgiesser, Maison du Phare, Ault, France ·

2021-22

  • Séminaire annuel de la Chaire Beauté(s) PSL-L’Oréal, Paris, France ·


PRESS (papier)

Publications première auteure

2025

  • Célia Boutilier, « Inhabiting the border », article soumis, en cours d’évaluation, Édition Life & Environment ·

  • Juin, Célia Boutilier, rubrique « le coin des artistes », numéro spécial mycorhizes (Vol.56, N°245), Édition l’Orchidophile, Fédération France Orchidées (FFO) ·

2023

  • Célia Boutilier, « Inhabiting the edges », Short paper pour ISEA2023 Symbiosis, 28th International Symposium on Electronic Art, Paris, France ·

  • Célia Boutilier, « Un galet au fond d’un lac boueux », Beauté.s Vitale.s, Édition Les Colloques de Cerisy ·

2022

  • Célia Boutilier, « La beauté de l’articulation », Séminaire de la Chaire Beauté(s), PSL-L’Oréal ·

Publications à propos des œuvres

2020

  • Septembre, « Abécédaire d’une forme », 87 Richelieu, l’Art dans la ville, Altarea ·

2018

2016

  • Octobre, « Nues », Réalités Nouvelles 2016, 70e anniversaire, L’œil du Mulot ·


DÉMARCHE ARTISTIQUE - 2023

“Nous habitons le monde à partir des images que nous nous faisons de lui”




Axe de travail

J’aimerais que mes images soient des lisières, qu’elles soient des zones de rencontre, des espaces de contact, des lieux symbiotiques et crépusculaires où l’évidence se suspend et où, dans une étrange familiarité, les choses entrent en relation. Je privilégie l’observation des formes transitoires et symbiotiques, les changements d’état, la confusion des échelles (du satellite au microscope) et toute autre forme de pratique de télescopage, en ce qu’elle impacte la solidité des corps, la netteté des contours et la fixité des images. Le particulier est alors porteur de toujours plus que de lui-même en ce que l’image se fabrique à partir d’un ailleurs qui traverse l’ici, pour rendre compte d’un ici à la fois toujours ouvert et toujours inquiété.

*

   Mon travail fait l’hypothèse que nous habitons un monde à partir des images que nous nous faisons de lui. Notre manière de nous rapporter aux choses peut se lire dans notre manière de fabriquer nos images et ces images définissent notre manière d’habiter le monde. Ces images se constituent d’une part, par le langage dont on dispose pour raconter un monde - c’est lui seul qui permet de contrer un sentiment esthétique de la beauté parfois trouble. D’autre part, par les images graphiques qui permettent de représenter une réalité non accessible à la métaphore. Construire des manières d’habiter un monde passe par des manières de fabriquer des images (qui se constituent à la fois d’icônes et d’écritures). Ces images sont les traductions formelles du type de rapport que nous cultivons avec les choses de ce monde. L’habiter, c’est aussi, peut-être même d’abord, créer des liens particuliers avec certaines choses du monde. Cela signifie cultiver une attention particulière pour les relations avec autrui, peu importe son espèce, et se servir de nos images comme boussoles. . Mon travail passe d’abord par un refus des postures ou des pratiques qui se constituent dans un rapport cannibalistique à l’altérité. Ce rapport est celui d’une attention, d’un souci, d’une vigilance. L’état de vigilance est un état de lenteur qui s’étire dans le temps. C’est une attention profonde au long terme, qui prend le contre-pied du temps éclair de l’immédiateté et charrie avec elle un certain degré d'incertitude pour devenir un espace de partage commun. En ce sens, prendre soin de nos relations et de leurs modes d’existence va de pair avec le fait de prendre soin de la fabrique de nos images.



« Aussi, combien de chemins, de sillons, de racines et de terre n’emmenai-je par mon souvenir pour les déposer dans ma chambre. Cependant, arrivé chez moi, il me manque souvent quelque chose et ce manque dépare toute ma collection. Je cherche ce que j’ai oublié dans un champ ou sur une route, et je trouve qu’il me manque non un galet ni un arbre, mais la circonstance de leur vision, le rythme de la marche, la distraction surprise dans sa trouvaille, la tournure de la pensée, l’état, l’instant. Alors, je m’en retourne aux champs chercher l’état que j’y ai oublié : il n’y est pas toujours resté. Je le retrouve parfois ailleurs, je ne le retrouve parfois nulle part. Les choses alors ne sont plus rien : les pierres sont vides et les sillons sont morts ; ils sont incapables de reproduire la circonstance, la surprise. L’état, l’instant ne se trouvent plus en eux.»

Bernard Réquichot (peintre), «Métaplastique» (1955), dans Écrits, op. cit., p.87.



   Innombrables sont les alliances que le règne fongique entretient avec son environnement dont nous faisons partie. Les symbioses mycorhiziennes(1) traduisent pour moi l’effort constant dont ont dû faire preuve des espèces pour se maintenir vivantes côte à côte. Elles me rappellent que l’existence est toujours coexistence, la subsistance cosubsistance. Leur étude - médiée par la connaissance que les scientifiques m’en donnent - me permet de toucher du doigt cette «poétique de la relation» invoquée par le philosophe Édouard Glissant : une poétique (une esthétique aussi) qui pense les nouages, les identités hybrides que nous habitons et qui nous constituent. Comme les plantes hors milieu, les êtres humains ne peuvent subsister sans monde et ces écosystèmes qui s’effondrent sont autant de modalités relationnelles disparues qui fragilisent nos manières de nous lier au monde.

   La théorie de la symbiose (1), et plus précisément de l’holobionte, m’amène à réfléchir sur la notion d’individu et sa place dans l’écosystème terrestre, ainsi que sur sa manière de se penser et de se représenter. Transcender la notion d’organisme permet de réconcilier l’être humain avec sa dimension naturelle d’interdépendance, d’interactions et de plasticité. Je pense qu’il nous faut d’abord nous souvenir de notre héritage, de la mémoire des sols qui grondent, des organismes et des fantômes que nous habitons, qui nous habitent et que nous portons, malgré nous, comme des enfants amnésiques.


« Ce qui complique encore la situation c’est que, moins que jamais, la simple «reproduction de la réalité» ne dit quoi que ce soit sur cette réalité. Une photographie des usines Krupp ou de l’A.E.G. ne nous apprend pratiquement rien sur ces institutions. La réalité proprement dite a glissé dans son contenu fonctionnel. La réification des relations humaines, par exemple à l’usine, ne permet plus de les restituer. Il faut donc effectivement «construire quelque chose», «quelque chose d’artificiel», «de posé». L’art est donc tout aussi nécessaire. »

Brecht, Bertolt, « Le procès de l’Opéra de Quat’sous. Expérience sociologique », in Sur le cinéma / B. Brecht, Lebrave, Jean-Louis et Lefebvre, Jean-Pierre Paris, L’Arche, 1970, p. 171




Allure du temps et fantômes

Paysages inconfortables. Il y a faille, brisure, suspension d’évidence. En creux à mes réflexions plastiques, je m’applique à modeler une temporalité spécifique : celle d’un temps qui a une épaisseur et dans laquelle se sédimentent la mémoire et les rêves. Ce temps - à l’instar de la pensée - n’est pas linéaire (cause/effet), il est constitué de boucles de rétroactions où la chaîne de causalité avale sa propre queue (pensée systémique). Le passé n’est pas seulement ce qui a eu lieu, il est aussi ce qui a été rêvé. Nous habitons et sommes hantés par les ruines des rêveurs du passé et à notre tour, nous sommes les bâtisseurs au moyen de nos propres rêves présents, de ce qui constituera les ruines de nos héritiers.



« Il reste toujours une ombre de quelque chose. Et qui reste longtemps. Maintenant, il n’y a plus que l’ombre de ma mère, qui m’a transmit l’ombre de ma grand mère, etc etc. On voit des images projetées normalement et puis on voit les mêmes images qui ne deviennent plus que l’ombre d’elles-mêmes. C’est un peu ça Maniac Shadows.»

Chantal Akerman - Maniac Shadows, Nuit Blanche 2013 au Théâtre du Châtelet, Paris







Projet de recherche doctorale «La « photographie imaginale » : pour une esthétique symbiotique »

Aujourd’hui, il me semble que la question de la représentation (qui parle et comment) soulève réellement la question des imaginaires, c’est-à-dire de la création de nouveaux univers fictionnels. L’enjeu de l’imagination est capital, car il ouvre des perspectives de récits thérapeutiques. Ces propositions de circulation (dans la fabrication même ou dans la mise en espace des créations) sont des hypothèses de résilience multiples. D’autre part, je m’intéresse depuis peu aux interdépendances dans les écosystèmes et au principe d’hybridation entre espèces, car je crois qu’il y a un réel enjeu esthétique, philosophique et politique à relier l’Art (la culture en général) à l’Écologie. La science botanique, et en particulier le concept de symbiose(1) me semble être à même de réaliser cette alliance nécessaire. En ce sens, je vais mener ce projet de recherche doctoral en collaboration avec l’équipe du laboratoire des symbioses végétales du Muséum d’histoire naturelle de Paris. Dans ma pratique plastique, fabriquer des relations symbiotiques, des alliances inattendues, me permettra de provoquer une « suspension d’évidence » qui, par l’intermédiaire de l’image, invitera le spectateur à partager l’expérience d’un regard différent. Partant de ce point, le propre du perçu sera d’admettre l’ambiguïté. Il sera question de « milieu » en ce qu’il nous prend dans son maillage. Il s’agira de résister à toute mise en hiérarchie des savoirs et d’explorer la pluralité des déploiements qu’ils permettent, substituant à la visée de l’unité la problématique de l’articulation.




* (1) Le mot « symbiose » décrit une interaction interspécifique durable et mutuellement bénéfique. Avec les biologistes Marc-André Selosse et Florent Martos, je m’intéresse spécifiquement aux symbioses mycorhiziennes : celles qui créent des réseaux entre individus et espèces différentes, notamment entre les champignons et les racines des plantes. Ces associations sont parmi les plus spécifiques du règne végétal et se retrouvent chez les orchidées épiphytes que j’étudie.




En savoir plus




Célia Boutilier


Critique journalistique

« Le travail de Célia Boutilier mène une réflexion sur le rôle de la photographie et des dispositifs de visualisation dans la production des connaissances scientifiques contemporaines. Intéressée par les dispositifs de prises de vue dans ce qu’ils racontent de la relation de la science au visible, l’artiste explore l’ambiguïté entre recherche scientifique et recherche esthétique. Que reste-il de l’information lorsque sa retranscription bascule dans un registre d’existence de l’ordre de la composition ?

Opérant des rapports d’équivalences entre différents médiums mais aussi entre différentes échelles, l’artiste utilise les instruments d’enregistrements scientifiques pour mettre en scène le paysage, la nature morte ou le biomorphique. « Je viens sélectionner les images qui ne servent à rien », confie-t-elle. Si le visible s’imbrique inextricablement dans une trame narrative, qu’en reste- t-il lorsque le médium passe de la photographie à la musique, lorsque le sens du cadre bascule et que le haut est le bas, lorsque enfin l’infiniment petit devient l’infiniment grand ? Ce sont toutes ces passerelles qu’explore Célia Boutilier, ces basculements qu’elle organise ensuite en séries, toujours dans une logique de rythmes et de partitions. La question de la subjectivité de l’artiste traverse finalement son travail où il ne s’agit plus de qui regarde mais de qui fabrique ce que l’on regarde, de quel manière et dans quel but. »

Élisa Rigoulet


FORMATION

Parcours / Biographie

Après une licence à l’ENSA Dijon et une année à l’École de Recherche Graphique (ERG,Bruxelles) - auditrice libre à l’ULB, je suis diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2019 (Atelier Photographique Patrick Tosani). Depuis 2014, je collabore avec des laboratoires de recherche (microfluidique - Polytechnique, et symbioses mycorhiziennes - Museum National d’Histoire Naturelle) où je m’intéresse à la manière dont les techniques de mise en images (photographies, vidéos et modélisations) participent à l’élaboration du savoir. Mon travail est exposé dans divers événements internationaux, dont le National Gallery de Copenhague, la Cité Internationale des Arts de Paris, la Maison des Métallos. Il a été cité dans plusieurs revues scientifiques, notamment Physics Today, The NewYork Times, Le Monde. Depuis 2020, mon travail intègre également des collections privées (COGEDIM et Gide Loyrette Nouel). En 2021, j'ai débuté un doctorat en « Sciences, Arts, Création, Recherche » (SACRe) au sein des Beaux-Arts de Paris en collaboration avec l’équipe Interactions et Evolution Végétales et Fongiques (INEVEF) du Muséum National d’ Histoire Naturelle de Paris. Ma problématique initiale est : « La photographie imaginale, pour une esthétique symbiotique ». Cette collaboration avec le muséum aura pour finalité la réalisation d’une exposition personnelle dans les Grandes Serres du Muséum en 2025.

 
 

Projet de recherche doctorale « La photographie imaginale : pour une esthétique symbiotique »
 
CV Art / Académique
CV Entreprise
 
Portfolio Septembre 2024